Dans le milieu des années 70 nous est parvenu depuis
l’archipel Nippon un vent d’espoir de perfection industrielle sous la
forme de la « théorie du zéro défaut ». Et il faut bien reconnaître que ces méthodes de travail Japonaises étaient et restent attractives et ont
permis aux organisations de gagner en qualité et en rentabilité. Cette
nécessité de tendre vers une perfection est un bien qui a bénéficié à
l’ensemble des consommateurs que nous sommes. Mais hélas, ce qui devait être et
rester une philosophie pour tendre vers la perfection est devenu un mythe.
Il est illusoire, en effet, de prétendre qu’une entreprise,
quelques soient les qualités de son organisation, puisse prétendre à une
production sans défaut.
Un surf rapide sur le web permet de prendre conscience du
dérapage idéologique qui s’est emparé de cette philosophie.
La théorie du zéro défaut est un concept d'efficacité des
entreprises qui s'inscrit dans la recherche de la qualité totale. http://fr.wikipedia.org/wiki/Z%C3%A9ro_D%C3%A9faut
Quelle réalité peut-on attacher au concept de « qualité
totale » ?
Voici ce qu’écrivait Bruno Lamotte dans un article « La
dynamique de la qualité. In: Revue d'économie industrielle. Vol. 42. 4e
trimestre 1987. pp. 16-30. »
« L'expression Total Quality
Control est porteuse de malentendus parce que l'idée qu'elle veut exprimer
n'est pas celle de contrôle, mais surtout celle d'amélioration de la gestion
de la qualité. Il s'agit donc bien d'une philosophie toute différente du
contrôle…On dit qu'une entreprise qui a réussi la mise en place et la généralisation
des cercles (de qualité NDA) a fait 20 à 25 % du chemin vers la mise en place
d'un système impliquant toute l'entreprise vers la recherche de la qualité, et
que c'est un premier pas indispensable. La mise en place d'un tel
fonctionnement dans une entreprise peut prendre plus de 4 ans. L'entreprise A (entreprise
étudiée aux fins de l’article NDA) définit ainsi les liens les plus importants
de la maîtrise de la qualité :
In fine, l'amélioration de la qualité
vise à la hausse des profits, tant par la baisse des coûts que par
l'augmentation des parts de marché. Les exigences de qualité et de productivité
ne sont pas contradictoires pour elle. »
L’idée de base apparaît comme porteuse de sens et en lien
direct avec le souci des clients pour une relation de confiance durable :
produire des biens et services de qualité. Hélas, il s’agit aujourd'hui d’un « mode de
gestion » destiné à « augmenter les profits ». Le détournement
de la portée « philosophique » des projets de développement de la
qualité par les théoriciens de l’industrie les ont incités en réalité à une
inflation de règles et d’outils de contrôles.
On trouve ici les fondements
d’une mise sous tension des salariés non plus vers la satisfaction du client
mais vers la chasse aux surcoûts. La satisfaction d’un besoin ou d’un désir n’est
plus alors la finalité réelle de l’entreprise
mais un possible bénéfice secondaire.
On comprend que l’objectif initial est d’amener les
entreprises à tendre vers le zéro défaut. Mais insidieusement, certains se sont
mis à croire que le mythe pouvait devenir réalité ! C’est du moins ce
qu’ils laissent entendre à leurs partenaires quand ils leurs refusent le droit
à l’erreur. C’est le message que les grands donneurs d’ordres se sont plu à
faire entendre à leurs différents partenaires en interne d’ailleurs comme en
dehors de l’entreprise.
S’étant fixé cet objectif irréaliste, ils ont pris conscience
que leurs partenaires, leurs fournisseurs étaient dans l’incapacité d’y
parvenir. Ils ont remis en cause leur
confiance relationnelle traditionnelle en les jugeant incapables de trouver des
solutions par eux même. Pour pallier à ce climat de méfiance, Ils ont mis en
place des outils afin de créer un climat de « confiance
artificielle ». En rationalisant toutes les opérations de fabrication
chez tous les intermédiaires depuis la matière première brut jusqu’au produit
finit, on supprime les aléas et on obtient un produit sans défaut.
Avant de poursuivre ma démonstration, je souhaite m’arrêter
un instant sur la problématique du profit dans les entreprises. Pratiquement
tous les dirigeants s’accordent aujourd’hui pour affirmer que la finalité de
leur entreprise c’est de faire du profit. A la suite de Milton Friedman,
économiste et grand théoricien de l’économie libérale, ils s’accordent à penser
que c’est difficile voire impossible de concilier responsabilité social et
sociétale et performance économique. Les grands élans écologistes que nous
vivons actuellement poussent certains à communiquer sur le « développement
durable » dans lequel ils tentent d’inscrire leur entreprise mais en
réalité, quand on gratte le vernis, on découvre qu’il s’agit généralement d’opérations
de communications.
Il me semble personnellement que les maux que subissent les
systèmes économiques en ce début de 21ème siècle viennent de la
« confusion de finalité ». Faire du profit n’est pas et ne pourra jamais
être une finalité. C’est un moyen. Et comme vous pouvez le constater dans le
schéma ci-dessous, les moyens sont très bas dans la dynamique de motivation
d’un collaborateur voir d’un usager ou utilisateur.
Voici la définition de la finalité dans Encyclopaedia
universalis. Accrochez-vous !
« La finalité d'une action en
est le « pourquoi », le sens, par opposition à son « comment », aux mécanismes
ou fonctionnements qu'elle met en jeu. Le mot « finalité » et l'expression «
cause finale » sont démodés ; on les emploie souvent entre guillemets, comme
antiscientifiques. »
« La finalité est éprouvée comme
une évidence lorsque l'on entreprend de faire quelque chose, d'obtenir un
résultat. Cette évidence conduit à interpréter comme « finalisée » l'action
observée d'un autre : Que veut-il faire ? Quel est le sens de son acte ? On
pense observer de la finalité, non seulement dans l'action d'un homme, mais
dans le comportement ou la structure d'un organisme, même supposé
inconscient, si l'on y voit une certaine adaptation de moyens à une fin, si
ses actes ou ses organes semblent appropriés à sa survie. On en trouve de même
dans tout système constitué, vivant ou non, lorsque ses parties paraissent
agencées relativement à une fonction de l'ensemble. Un appareil qui résulte
de notre « faire » nous savons qu'il est finalisé – par nous. Un équipement
industriel sert aux usagers, son fonctionnement a une fin. Par analogie, les
systèmes naturels donnent l'impression d'avoir une fonction bénéfique ou
maléfique. »
La finalité d’un autocar, c’est de transporter des usagés. Ce
n’est pas de rouler économiquement. Tant mieux si les deux sont conciliables.
Si l’entreprise de transport met comme finalité l’économie, il faut qu’elle
cesse de faire rouler ses autocars ! Nous pouvons comprendre que les
messages de maîtrise des coûts répétés à l’envie aux salariés de certaines
entreprises finissent par brouiller le sens de leur engagement et la compréhension de l'utilité de
leur entreprise.
Dans l’industrie, on observe un phénomène de mode
actuellement, c’est le développement du
Lean Manufacturing ou « gestion sans gaspillage ».
Voilà la définition que l’on trouve sur le site «leleanmanufacturing.com »:
« Le Lean Manufacturing est basé
sur l’élimination des Gaspillages ou Muda au sein des processus de production.
Les apports du Lean sont une
réduction des stocks et des temps de production ainsi qu’une meilleure qualité,
moins de dommages et d’obsolescences, et une plus grande flexibilité grâce à une
organisation autour des processus.
Les Principes du Lean manufacturing
- Quantifier la Valeur : La valeur est définie en relation
avec le client.
- Identifier la Chaîne de Valeurs : Mettre en évidence
l’énorme quantité de gaspillages.
- Créer un nouveau Flux : Réduire les Gaspillages et
réduire la taille de lots et les encours.
- Laisser le client tirer le produit à travers la chaîne de valeur : Produire seulement ce que le client a commandé.
- Rechercher la Perfection : Améliorer continuellement la
qualité et éliminer les gaspillages. »
On comprend à la lecture de cette définition que les
entreprises qui choisissent la mise en place d’une organisation « lean »
risquent fort de focaliser les énergies non pas vers le souci permanent d’œuvrer
à la finalité réelle de l’entreprise en tant que productrice d’un bien ou d’un
service mais d’élever la dimension économique au rang de finalité. La
conséquence de cet état de fait, c’est la perte d’identité de l’entreprise ce
qui entraîne la perte de cohérence et une confusion dans la compréhension de son
positionnement sur son marché. Le message de préoccupation économique envoyé
aux partenaires et clients créé une dynamique de discussion sur les prix et les
économies au dépend de l’innovation et bien souvent de la qualité des produits
et des services.
Quand les Dirigeants expriment explicitement que la finalité
de leur entreprise c’est le profit, ils induisent dans leur écosystème un mode
de réflexion, de communication, de pensée, d’idéologie même…reposant sur le
tout économique. Les conséquences sont immanquablement une perte du sens de
la raison d’existence même de celle-ci, un mal être au travail des
collaborateurs qui n’ont plus la compréhension intelligible du sens de leur
engagement dans l’entreprise, le désengagement des forces vivent, des
revendications salariales fortes (valeur de l’entreprise), des discussions avec
les clients et partenaires qui reposent principalement sur les prix, la mise en
place de communication artificielle pour donner l’illusion d’une utilité…
L’outil de rationalisation par excellence c’est la norme.
Dans son article « La normalisation de la qualité et
l'évolution de la relation de production. In: Revue d'économie industrielle.
Vol.75. 1er trimestre 1996. pp. 291-307. » Denis Segrestin écrivait
« La mise en œuvre du partenariat
implique que les opérateurs qui se retournent vers le marché puissent y déceler
des «signaux visibles» (confiance institutionnelle NDR) de nature à compenser
les asymétries d'information, puis à susciter la confiance, pour parvenir
finalement à la constitution de véritables dispositifs de coopération. Encore
les « signaux» en question (tels que l'exhibition de labels ou de certificats)
ne sont-ils pas suffisants à cet effet : pour traiter au quotidien avec ses
sous-traitants devenus partenaires, l'entrepreneur a besoin d'instruments de
transaction robustes et économes... Pour nous arrêter sur ces données
élémentaires, les normes de type ISO 9000 seraient aujourd'hui l'une des
technologies adéquates à la mise en œuvre d'une telle stratégie: elles jouent
le rôle de signal sur le marché ; elles prescrivent une méthodologie rigoureuse
de gestion de la coordination interfirmes ; elles constituent un outil de
coordination standardisé, adéquat au souci des économies de transaction. »
La capacité d’une entreprise fournisseur potentiel à répondre
aux exigences des normes ISO 9000 est considérée comme un signal fort de
confiance institutionnelle susceptible de favoriser la relation commerciale.
Mais l’auteur poursuit quelques lignes plus loin :
« La lecture la plus
accommodante du texte des normes 9001 et 9002 ne manque pas de relever que tous
les devoirs y sont imputés au fournisseur -comme si le système avait pour
finalité véritable le traitement du contentieux et l'attribution préalable des
responsabilités au vendeur »
En d’autres termes, souhaitant parvenir à un niveau de
qualité total, l’industriel rompt le lien de confiance traditionnel qu’il
entretien avec ses fournisseurs pour le mettre en demeure de lui fournir des
produits « zéro défaut ». Pire, il prévoit dès le début de la
relation commerciale que le fournisseur sera tenu pour responsable de tous les
aléas de fabrication à venir.
Dans les faits en réalité, une telle relation n’est pas
tenable dans la durée et la négociation en cas de difficultés l’emporte
généralement. Mais dans les faits également, un tel niveau de pression exercé
sur un fournisseur le pousse au mensonge par omission. Comment reconnaître ma
responsabilité quand les conséquences pour mon entreprise sont… incalculables.
Et le mensonge est le poison de la confiance !
Analysons maintenant les arguments mis en avant par les
organismes de certification dans leur communication.
Si on se connecte au site internet www.iso.org,( la normalisation des entreprises
selon le référentiel iso étant certainement le plus répandu dans le monde),
voici ce que l’on peut lire:
« Les
Normes internationales garantissent des produits et services sûrs,
fiables et de bonne qualité. Pour les entreprises, elles sont des outils
stratégiques permettant d'abaisser les coûts, en augmentant la productivité
et en réduisant les déchets et les erreurs… »
Dans cette seule phrase d’introduction à la norme, on note
tout le paradoxe et l’illusion de la démarche. L’organisme de certification
vous promet l’impossible : la garantie de produits et services sûrs,
fiables et de bonne qualité. Puis, vient ensuite le réel bénéfice de la
normalisation en lien avec l’approche purement gestionnaire des
entreprises : abaisser les coûts, augmenter la productivité et réduire les
déchets et les erreurs.
Vouloir réduire les coûts et gagner en productivité sont des
objectifs logiques et de saine gestion, mais attention aux « contres
coûts » que peuvent entraîner une démarche mal digérée.
La mise en place de normes permettant d’apporter les
garanties nécessaires aux consommateurs quant aux possibilités de
« jouir » de leur bien de façon satisfaisante est un progrès
nécessaire. Mais restons-en là. Quand elles prétendent devenir des outils de
performance économiques, elles se détournent de leurs finalités. Il ne s’agit
pas en effet de remettre en cause les bienfaits de l’organisation et d’une
certaine rationalisation dans les processus industriel, mais il s’agit de
quitter le monde de l’illusion pour revenir au réel et accepter une vérité
fondamentale : il y a toujours une part d’aléas dans tout process
industriel.
La normalisation à outrance a eu et continu à avoir des
conséquences dramatiques sur les entreprises Françaises.
En succombant à l’illusion du zéro défaut, les théoriciens de
l’industrie ont mis à mal l’esprit d’entreprendre et les capacités créatives
des entreprises. Il en découle une approche commerciale catastrophique avec
comme seul identité résiduelle et comme seul argument commercial pour nos
entreprises : l’argument du prix.