Retrouver l’esprit de Coopération
La récente émission sur le Bonheur au travail proposée par
Arte nous apprend que 61% des salariés sont « désengagés » dans les
entreprises Françaises. Ils viennent chercher un salaire, 28% sont « activement
désengagés ». Ils sont en état de souffrance et agissent pour détruire l’objet
de leurs souffrances et seulement 11% sont engagés dans leur travail !
La gestion des ressources humaines est une préoccupation
constante des entrepreneurs depuis le début de la révolution industrielle. Elle
a fait preuve de nombreux tâtonnements. Après deux siècles d’expérimentations,
force est de constater que l’Homme reste un mystère pour l’entreprise.
Avec l’apparition des moyens de propulsion mécaniques à la
fin du 18ème siècle puis des moyens de communication électroniques
(téléphone au 19ème siècle), l’humanité est entrée dans un processus
exponentiel d’accélération du temps et d’abolition des distances géographiques.
Cette réalité technique a permis une accélération incroyable
du développement surtout dans les pays dit industrialisés puis l’avènement de
la mondialisation et l’apparition du principe de « village mondial »
qui laisse à penser que les Chinois sont nos voisins les plus immédiats. Chaque
jour nous pouvons être en contact en direct avec des collaborateurs, des
clients des partenaires où qu’ils se trouvent dans le monde.
La dimension humaine est à la fois pilote, bénéficiaire et
victime de ce phénomène. Elle se trouve ballotée dans les remous successifs et
rapprochés des vagues de changements auxquels il faut sans cesse faire
face.
La part humaine dans l’entreprise a connu au début de l’air
industriel une période avilissante avec l’école classique en 1910 ou l’homme
est reconnu comme une simple ressource subordonnée aux contraintes de
production. C’est le principe de rationalisation avec les travaux de Ford,
Fayol et Taylor ; En 1930 avec l’avènement de la première grande crise
économique mondiale s’ouvre une période
humaniste. C’est l’école des relations humaines et les travaux de Mayo,
Maslow, Lewin, Mac Gregor… La productivité est liée, pour les tenants de cette
approche, aux facteurs humains et repose sur l’importance de rendre
intelligible aux travailleurs la tâche qu’ils ont à accomplir. Le clivage
décisionnel entre la direction et les ouvriers subsiste; En 1960 apparait
l’approche systémique et stratégique des organisations. Les travaux de Crozier
et Friedberg permettent de mettre en évidence l’influence de l’environnement et
les limites des règles sur le degré de motivation des salariés et leur
productivité ; en 1970, face à la monté des revendications sociales on
observe la mise en place des approches contractuelles avec une judiciarisation
des relations dans le travail qui continue à s’accentuer aujourd’hui encore;
enfin les années 90 connaissent l’avènement de l’approche gestionnaire avec la
financiarisation des entreprises, approche qui a toujours cours aujourd’hui et
dont la conséquence principale est un brutal retour à la case départ et une
gestion avilissantes de « ressources humaines ». En 2008, la deuxième
grande crise mondiale créé une dynamique de replis sur soi et on observe la
mise en place d’un courant de gestion individuelle de l’homme au travail. C’est
l’hyper psychologisation avec, entre autre, le développement de
l’accompagnement individuel (Coachs de la performance). Le risque majeur de
cette approche, c’est l’individualisation excessive et la perte de l’esprit de
coopération.
L’homo Economicus qui est la clé de tout développement
économique se trouve donc depuis la fin du 19ème siècle balloté dans
la spirale de l’accélération du temps et du développement des moyens de
communication. Sa capacité à l’autodétermination pose un problème dans la
vision gestionnaire de la gouvernance des entreprises. Nul n’est certain en
effet, contrairement à la mise en œuvre d’une machine, que le résultat du travail réalisé par un
collaborateur sera le résultat attendu. Comment espérer alors atteindre ses objectifs
et planifier un développement? La tentation est forte de le remplacer par une
machine.
Les scientifiques se sont penchés sur le mode de
fonctionnement de l’homme pour tenter de prévoir ses réactions et d’organiser
les conditions environnementales favorables à la productivité attendue. Mais
après 1 siècle de recherches et de mise en application, les résultats sont pour
le moins décevants. Aucune Ecole, aucun courant de pensée aucune technique n’a
pu venir à bout de l’imprévisibilité
des réactions humaines. Et c’est tant mieux !
La conséquence de l’approche mécaniste de l’organisation des
entreprises, c’est une perte de repères et une
déstructuration des personnes avec une tendance à fragmenter l’homme en
morceaux utiles (cerveau ; bras)
pour le contrat passé avec l’entreprise et en morceaux inutiles voir considérés
comme néfaste (cœur avec sa dimension affective, cerveau pour les exécutants,
dimension spirituelle…) et donc au mieux
ignorés, au pire, combattus. Mais la nature humaine se révolte et tend à
retrouver son intégrité son équilibre sa dignité. C’est l’avènement du
développement individuel. La vie au travail créant un déséquilibre dangereux,
l’Homme cherche un rééquilibrage ailleurs. Il consulte, se fait accompagner,
fait du sport, il développe des conduites à risque, il est tenté par
l’expérience sectaire, il développe des
maladies… la génération Y qui ne croit plus à un possible épanouissement
au travail et peine à se mobiliser est sans doute l’aboutissement de ce
processus.
La ressource humaine a cette extraordinaire qualité c’est
qu’elle est « intelligente » ce qui lui donne la capacité à
l’autodétermination soit la capacité de choisir librement si oui ou non elle va
coopérer à la finalité de son entreprise. L’observation du schéma précédent nous
amène à constater qu’il a fallu sans cesse développer de nouveaux courants de
pensées pour essayer d’améliorer la disponibilité et l’efficacité de la
ressource humaine au travail. La perte de vue de vue cette nécessité de la
coopération intelligente créé des conditions de crises.
Depuis les années 90, c’est la gestion qui prédomine dans le
mode de management des entreprises avec une finalité : faire du profit.
Quand on parle dans les séminaires de management de la
nécessité de donner une vision d’entreprise on mesure la limite qu’il y a de faire
du profit la réelle vision des dirigeants ou des propriétaires. Bien
évidemment, cette finalité sous-jacente n’est jamais exprimée de manière
brutale. Mais quand elle est ancrée dans les gènes de l’entreprise, elle transparaît et tous les discours qui tentent de la faire disparaître, tous les
chiffons rouges agités pour détourner l’attention sont autant d’éléments de
fragilisation de la confiance potentielle.
Dans une vision gestionnaire du management la rationalisation
prend des allures de philosophie d’organisation. L’homme est alors considéré
comme une ressource au même titre que les autres ressources nécessaires
à la production. Mais l’homme n’étant ni un objet, ni une machine mais un corps
organique capable d’autodétermination, il
est souvent perçu comme une limite. Ses aléas biologiques, psychologiques,
sa nature même, font de lui une ressource peu fiable. Dès que cela est rendu
possible, il est remplacé par une machine.
L’homo économicus est donc désunifié chosifié puis
désemployé.
Face à certaines dérives constatées par l’augmentation des
plans sociaux, le développement des maladies professionnelles, le développement
des suicides sur les lieux de travail, le développement de la violence au
travail… les pouvoirs publics tentent d’allumer des parts feux législatifs.
C’est le cas, par exemple, des récentes lois sur les Risques Psycho Sociaux. Ce
faisant, ils augmentent les contraintes de gestions et la judiciarisation des
relations. La conséquence c’est la perte du lien directe et du lien de
confiance entre les personnes. Chacun se réfugie derrière les textes de loi et
l’homme de loi a fait une entrée remarquée dans la gestion des relations et des
conflits dans les entreprises.
En parallèle de ce phénomène de judiciarisation de la
relation s’est développé un sentiment de victimisation. Chacun d’entre nous
peut aujourd’hui au regard de la loi se considérer comme la victime d’un système ou d’un autre, d’une personne ou d’une autre. La conséquence de cette
attitude c’est la passivité et l’agressivité. Quand je suis la victime d’une
injustice, j’attends de plein droit que cette injustice soit réparée. Je
deviens donc passif dans l’attente que le coupable répare l’injustice.
Redonner du sens à l’engagement de tous dans l’entreprise n’est
plus une option.
Pour y parvenir avec succès, un travail en profondeur sur la
Vision, la Finalité, les Valeurs, le Projet... de l’entreprise est une
nécessité. Leurs mises en lumières seront autant d’occasions de permettre à chacun
de retrouver des raisons à s’engager à nouveau dans une démarche de
coopération. Elles redonneront à la dimension Humaine de l'entreprise la capacité de compréhension intelligible de la "raison d'être" de leur entreprise et ils pourront alors décider en conscience d'adhérer au projet.
Et pour le respect des salariés, cessons définitivement de gérer les Hommes et les Femmes dans l’entreprise comme une vulgaire ressource!
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