La Bienveillance
Nous nous efforçons, avec conviction, de convertir les
managers à la Bienveillance vis-à-vis de leurs collaborateurs au cours de nos
séminaires sur le management.
Lors d’un colloque auquel j’ai assisté récemment sur
« la confiance au travail », une des grandes figures du patronat
Français s’est insurgée avec vigueur contre ce qu’il a jugé comme un « dictat
de la bienveillance ». Il exprimait une forte irritation face à ce qu’il
ressentait comme une injonction à la compassion au détriment de l’efficacité
légitimement attendu de la part d’un collaborateur rémunéré.
Je n’ai malheureusement pas eu le loisir d’engager la
conversation avec lui pour approfondir les fondements de sa prise de position.
Mais il me semble que son propos repose sur une incompréhension de ce qu’est la
bienveillance.
La bienveillance ce n’est rien d’autre que de veiller au
bien. Et veiller au bien ce n’est pas être laxiste. C’est être exigeant pour le
bien de la personne. C’est le rôle légitime d’une personne en position
d’autorité. C’est le rôle légitime d’un manager.
Lorsque que l’on est en position de management, notre
fonction revêt, en effet, une dimension d’autorité et nous disposons de pouvoirs
sur nos collaborateurs. Ces pouvoirs se traduisent par un arsenal de sanctions
pouvant aller jusqu’au licenciement. Il y a donc dans tout contrat de travail
un présupposé de soumission du collaborateur vis-à-vis de son manager. C’est
dans ce cadre-là que s’inscrit la nécessité de la bienveillance. Il n’y a pas
de discussion possible sur le fait que, dans une relation de pouvoir et de
soumission, le détenteur du pouvoir a une obligation à prendre soin de la
personne soumise au risque de porter atteinte à sa dignité.
Qu’est-ce que vouloir le bien ?
Qu’est-ce que le bien pour une personne dans
l’entreprise ?
D’un point de vue anthropologique, le bien, pour une
personne, c’est de croitre et de se développer. Comme j’ai pu l’écrire dans un
précédent article, croitre c’est l’affaire de 20 années environ et,
objectivement, si nous disposons d’une quantité et d’une qualité de nourriture
suffisante, si nous disposons de soins médicaux en cas de nécessité, nous avons
peu d’influence sur notre croissance. Ce phénomène nous échappe. Il est
naturel.
Pour ce qui est du développement, au contraire, il dépend
principalement de notre volonté. Cette volonté repose sur des qualités, des
dons, des talents, des compétences, des besoins, des désirs… qui vont orienter
nos choix. Mais, si nous ne sommes par volontaires pour nous engager dans un
développement personnel, nous tombons dans une forme de stagnation qui va
limiter notre capacité à accomplir une œuvre et à nous accomplir à travers
cette œuvre.
Le rôle du manager est donc de créer les conditions d’une
adhésion volontaire du collaborateur à coopérer au projet commun. Aider chacun à
choisir librement.
Il y a, naturellement, en chacun de nous, une tension
intérieure vers une « finalité subjective » qui nous pousse à faire
des choix, à prendre des risques pour nous inscrire dans un processus naturel
de développement. Le travail humain est un
extraordinaire moyen mis à notre disposition pour permettre ce développement.
Vouloir le bien d’une personne dans une relation managériale
c’est donc l’accompagner dans la mise en œuvre de ce développement
professionnel. C’est d’ailleurs tout le fondement de la posture d’autorité.
Celui qui a autorité, c’est celui qui autorise, qui permet. Le manager a donc
pour mission de créer les conditions favorables et de sécurité suffisantes pour
permettre à son subordonné, dans la compréhension intelligente de la finalité
vers laquelle il souhaite tendre et en fonction de son identité propre, de
« prendre le risque » de se mettre en mouvement et entreprendre son
développement.
L’entreprise a sa propre identité et sa propre logique de
développement. Elle peut être alors considérée comme une voie spécifique
proposé aux personnes qui la composent pour permettre leur développement
professionnel et personnel. Mais Il y a un impératif d’équilibre entre le
développement de l’entreprise et le développement des personnes qui la composent.
C’est cet équilibre que l’on retrouve dans la définition du Bien Commun de
l’entreprise comme « l’ensemble des
conditions qui permettent à tous et à chacun de tendre vers
l’excellence et vers le plein épanouissement ».
Dans une économie largement financiarisée, la balance penche
dangereusement du côté du primat du collectif au détriment du personnel, du côté
du tous au détriment du chacun. L’opinion, les besoins, la personnalité
spécifique du collaborateur sont rarement pris en compte dans les processus de
décision et d’orientation, même en ce qui concerne son poste de travail. Le
résultat c’est que, par réaction, on obtient de l’hyper-individualisation. Devant
l’impossibilité de se faire entende raisonnablement sur ce qui concerne son
œuvre au quotidien, le collaborateur se désengage... et il perd une énergie
précieuse à « murmurer » contre une autorité qui ne joue pas son rôle.
La bienveillance du manager repose sur sa capacité à prendre
en compte les spécificités, les besoins et les désirs personnels de ses
collaborateurs pour les mettre au service du projet commun. Ces spécificités
personnelles doivent être prises en compte dans la limite de la mise en
danger du projet collectif. Etre bienveillant signifie alors avoir la capacité
à accompagner le collaborateur dans sa prise de conscience d’une nécessité
d’adaptation ou de changement d’orientation. Cette capacité repose sur la
relation de confiance existant entre le manager et le collaborateur. Une telle
autorité bienveillante est facteur de liberté pour le collaborateur qui pourra,
en connaissance de cause et en relation avec son manager, entreprendre les
adaptations nécessaires pour mieux coopérer au projet commun ou… se faire
accompagner vers un autre projet.
Il y n’a donc dans la bienveillance managériale aucune place
pour un quelconque laxisme. Il est de la responsabilité du manager d’afficher
une exigence légitime pour maintenir ses collaborateurs dans une dynamique
positive au service du bien commun. Et si le collaborateur se désengage il doit
étudier avec lui les causes de ce désengagement et travailler avec lui sur la
mise en œuvre des conditions du réengagement. Si le collaborateur refuse de
coopérer, la sanction voire le licenciement s’imposent au nom de l’intérêt
supérieur. Cela peut être alors considéré comme un service rendu au collaborateur
pour qu’il retrouve les conditions favorables à la poursuite de son
développement professionnel. C’est dans cette objectif clairement affiché que le
manager doit l’accompagner dans ce qui restera toujours une épreuve. Mais
l’épreuve fait partie de l’équation. Il n’y a pas de développement sans prises
de risques, sans échecs, sans effort et sans victoires.
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