« Connaitre, ce n’est point démontrer, ni expliquer, c’est accéder à la vision »

Antoine de Saint-Exupéry

samedi 25 mars 2017

Les règles dans l’Entreprise

Une des questions les plus actuelles pour les Managers et les Dirigeants c’est la relation des collaborateurs aux règles aux normes et au règlement. La surenchère permanente du règlementaire et du normatif dans nos entreprises a pour résultat le désengagement des collaborateurs et l’inhibition de leurs potentialités spécifiques. C’est un des freins majeurs au développement de l’esprit de coopération et donc au développement de nos entreprises.

Cette réalité repose sur des réalités sociétales culturels et politiques. Le judiciarisation observable de notre société produit ses effets au cœur même des entreprises.

Mais les résistances proviennent également du manque de réflexion et de compréhension de ce qu’est ou ce que doit être une loi, une règle et une norme. Il appartient donc aujourd’hui aux Dirigeants et Managers de s’intéresser à ce sujet.

Par principe, la règle, le règlement sont des limites à la liberté de choix. Il y a une notion de contrainte. Il y a donc un réel potentiel de frustration. C’est pour cela qu’il faut en user avec discernement.

On entend beaucoup parler de la perte du sens comme un facteur de désengagement des collaborateurs. Subir un règlement, appliquer des règles sans en comprendre l’utilité et la finalité est de toute évidence aliénant.

Qu’est-ce qu’une règle, qu’est-ce qu’une loi et qu’est-ce qu’une norme

La règle est fonctionnelle et pratique. Elle permet le fonctionnement optimisé d’un processus technique. La finalité même d’une règle c’est le principe de l’efficacité. Si vous achetez un appareil électroménager, vous allez prendre connaissance de la notice technique qui va vous permettre d’en comprendre les règles d’utilisation pour obtenir le meilleur résultat. La règle est quelque chose qui ne se discute pas. Elle est arbitraire. Pour bien conduire, il est important de bien maitriser les règles qui président à l’utilisation de votre véhicule et les règles du code de la route. Mais lorsque que vous conduisez, après une phase d’apprentissage, vous n’êtes plus dans une pensée consciente permanente de ces règles. Elles sont devenues des réflexes. La règle n’est pas immuable. Si elle n’est pas suffisamment efficace, elle doit être améliorée.

La Loi, elle, ne se préoccupe pas tant de l’efficacité d’un processus, mais plus de la concrétisation des valeurs reconnues par tous. La Loi repose sur la morale. Pour que la Loi soit admise par tous, il doit y avoir débat et discussion préalable. Cette Loi doit représenter les Valeurs communes qui président à l’identité spécifique de l’entreprise. La Loi est le moyen d’organiser les relations pour tendre vers le « Bien Commun » de l’entreprise. La loi a donc plus une influence sur le « vivre ensemble » que sur l’efficacité. L’interprétation de la loi dans l’entreprise se fait généralement sous le biais du Règlement Intérieur. A la différence d’une règle qui est arbitraire, autoritaire et unilatérale, la loi est modelée par la discussion, la réflexion, le débat. Il peut y avoir interprétation ou adaptation dans des cas particuliers. Pour avoir du sens, la Loi et le règlement doivent reposer sur des valeurs communément admises et sur la compréhension et la mise en lumière du « Bien Commun ». Elle doit être légitime et doit donc être sans cesse soumise à l’esprit critique. Elle découle de la compréhension de la Mission de l’entreprise (A quoi ça sert ?), de la Vision sur laquelle repose l’engagement de tous pour remplir cette mission (Vers quel « rêve » idéal tendons nous), et des valeurs sur lesquels reposent cet engagement commun (à quoi je m’engage personnellement et comment je réagis dans une situation donnée).

Je constate que dans de nombreuses entreprises, pour ne pas dire dans la grande majorité, la mise en lumière et le partage sur le « Bien Commun » n’existe pas. Cette notion même est obscure. On propose la recherche de profit et la satisfaction des clients en lieu et place d’une vision d’entreprise. Dans une économie en crise, ces deux objectifs ne sont plus mobilisateurs. Il y a bien parfois quelques valeurs affichées, mais elles ne reposent généralement sur aucun débat, aucune réflexion collective. Elles ont été édictées arbitrairement par la Direction, et l’adhésion aux valeurs de l’entreprise est très généralement de l’ordre de l’injonction réglementaire ce qui n’a aucun sens. J’ai même rencontré des collaborateurs qui m’ont affirmé qu’ils devaient apprendre par cœur les valeurs de leur entreprise ??

La norme a pour fonction de définir un ensemble de spécifications décrivant un objet ou une manière d’opérer. Une norme sert à mentionner avec précision le résultat attendu d’une opération ou la manière de faire pour obtenir ce résultat.
Si la norme s’intéresse à la manière d’opérer, elle peut être considéré comme un synonyme de « Règle ». Un mode opératoire c’est ni plus, ni moins qu’une règle.
Si la Norme s’intéresse au résultat, c’est plus de l’ordre du respect de la spécification.
Il est intéressant de noter qu’il y a eu une évolution dans le développement des normes dans l’industrie. A l’origine, la norme avait pour objectif la standardisation pour assurer la compatibilité de biens fabriqués sur des sites différents dans des lieux géographiques parfois très éloignés. S’est introduit ensuite dans le champ normatif une notion de sécurité : la définition de spécifications pour garantir la sécurité des utilisateurs. Puis, dans un troisième temps, le normatif s’est intéressé à des notions de procédures, de processus de production. C’est sans aucun doute un virage important dans l’histoire des relations commerciales. Le client ne se contente plus de se satisfaire d’un respect des spécifications du produit, il veut s’assurer que les processus qui ont permis à l’élaboration de ce produit sont sous contrôle et reproductibles. On peut parler de l’apparition d’une forme d’ingérence du client dans les affaires de son fournisseur. C’est la naissance du mythe du Zéro défaut.

Plus de normes, plus de contrôles, moins de confiance, des règlements qui ne reposent plus sur un consensus, une légitimité sans cesse remise en cause, la perte de la compréhension du Bien Commun, des tentatives malheureuses d’imposer des valeurs, des règles qui ne permettent plus l’efficacité optimum… voilà le cocktail indigeste servi quotidiennement à nos collaborateurs.

Pour leur redonner le goût de l’engagement, du sens à leur travail, de la dignité et l’envie de respecter le cadre, il est nécessaire de revenir aux fondamentaux de chaque entreprise. Passer résolument d’une entreprise organisée à une entreprise ordonnée à une finalité et engagée dans une cause.
Pour cela, il est impératif de redéfinir la mission de l’entreprise, la vision d’un résultat idéal souhaité et les valeurs sur lesquels reposent l’engagement de chacun et de tous. Il sera temps ensuite de revisiter le projet et le cadre approprié pour accomplir la mission.   


Pour écrire cet article, je me suis inspiré d’un article de François Galichet de l’université de Strasbourg.

mardi 28 février 2017

Croitre ou se Développer ?

Le credo des Dirigeants aujourd’hui, qu’ils soient politiques ou Dirigeants d’entreprises, c’est que notre salut passe par la relance de la « croissance ». Il faut augmenter le PIB, développer le Chiffre d’affaire de l’entreprise, atteindre une masse critique pour… ? continuer à alimenter la machine de la consommation qui permettra plus de croissance et nécessitera plus de consommation…
Dans le même temps, nous observons que les ressources disponibles sont tarissables. La question écologique est aujourd’hui essentielle. La croissance infinie semble une utopie !

Et si notre avenir économique reposait non pas sur « toujours plus » mais sur « toujours mieux ? »

 Utilisons comme métaphore la vie humaine.  L’homme connaît dans sa vie une phase de croissance qui lui permet d’atteindre sa taille adulte aux environs de 19-22 ans.  Si on applique les règles de l’économie moderne à une personne humaine, à partir de 22 ans, plus de croissance possible. Il serait alors indispensable de proposer à tous des hormones de croissance pour nous assurer de rester dans un processus salvateur et assurer notre avenir.

Heureusement, ce ne sera pas nécessaire. Tout simplement parce que notre bonheur ne réside pas dans une croissance infinie, mais dans des capacités de développement infinies.

J’ai eu la chance de travailler avec un dirigeant qui a revu ses positions stratégiques après une opération de croissance externe avortée et d’expérimenter avec succès la mise en place d’un projet de développement en lieu et place d’un projet de croissance.
A Chiffre d’affaire et effectif presque constant, nous avons transformé en quelques années la production de l’entreprise pour passer d’une production de masse et bon marché à une production plus confidentielle de produit de haute qualité et à haute valeur ajoutée. La profitabilité de l’entreprise s’est alors considérablement améliorée.

La notion de développement durable correspond bien à cette intuition. Mais elle reste encore trop un « phénomène de mode » et un affichage purement marketing. Il est rare que cette orientation stratégique soit considérée comme une opportunité de business.

Beaucoup de Dirigeants se trouvent face à la dure réalité d’une croissance qui ralentie ou disparait. Une seule solution : faire de la croissance externe. Mais les opérations de croissances externes créent rarement de la richesse et produisent à terme ce qui est tant redouté par les acteurs de l’économie : La récession.

La croissance et la recherche du profit immédiat ont pris une place trop importante dans nos entreprises et nous avons perdu le sens de l’engagement à la base même de toute entreprise humaine. A quoi sert notre entreprise ? Quelle est notre mission commune ? Quelle est la vision qui nous fait agir ? Quels sont nos valeurs communes ? Voilà des questions qu’il est souvent difficile de poser sans être considéré comme un doux utopiste déconnectées des réalités de l’entreprise. Des ressources insondables de développement et de profits se trouvent pourtant cachées derrière ces questions fondamentales qui permettent d’ouvrir des champs d’investigations et d’orientations stratégiques.


Notre modèle économique qui repose uniquement sur le principe de la croissance infinie est-il encore viable ? Il parait plus que nécessaire de se poser la question et de chercher des réponses avant qu’elles ne s’imposent violemment à nous.

jeudi 16 avril 2015

L'illusion du tout économique et du tout rationnel

Dans le milieu des années 70 nous est parvenu depuis l’archipel Nippon un vent d’espoir de perfection industrielle sous la forme de la « théorie du zéro défaut ». Et il faut bien reconnaître que ces méthodes de travail Japonaises étaient et restent attractives et ont permis aux organisations de gagner en qualité et en rentabilité. Cette nécessité de tendre vers une perfection est un bien qui a bénéficié à l’ensemble des consommateurs que nous sommes. Mais hélas, ce qui devait être et rester une philosophie pour tendre vers la perfection est devenu un mythe.

Il est illusoire, en effet, de prétendre qu’une entreprise, quelques soient les qualités de son organisation, puisse prétendre à une production sans défaut.

Un surf rapide sur le web permet de prendre conscience du dérapage idéologique qui s’est emparé de cette philosophie.

 La théorie du zéro défaut est un concept d'efficacité des entreprises qui s'inscrit dans la recherche de la qualité totale. http://fr.wikipedia.org/wiki/Z%C3%A9ro_D%C3%A9faut
Quelle réalité peut-on attacher au concept de « qualité totale » ?

Voici ce qu’écrivait Bruno Lamotte dans un article « La dynamique de la qualité. In: Revue d'économie industrielle. Vol. 42. 4e trimestre 1987. pp. 16-30. »

« L'expression Total Quality Control est porteuse de malentendus parce que l'idée qu'elle veut exprimer n'est pas celle de contrôle, mais surtout celle d'amélioration de la gestion de la qualité. Il s'agit donc bien d'une philosophie toute différente du contrôle…On dit qu'une entreprise qui a réussi la mise en place et la généralisation des cercles (de qualité NDA) a fait 20 à 25 % du chemin vers la mise en place d'un système impliquant toute l'entreprise vers la recherche de la qualité, et que c'est un premier pas indispensable. La mise en place d'un tel fonctionnement dans une entreprise peut prendre plus de 4 ans. L'entreprise A (entreprise étudiée aux fins de l’article NDA) définit ainsi les liens les plus importants de la maîtrise de la qualité :
In fine, l'amélioration de la qualité vise à la hausse des profits, tant par la baisse des coûts que par l'augmentation des parts de marché. Les exigences de qualité et de productivité ne sont pas contradictoires pour elle. »

L’idée de base apparaît comme porteuse de sens et en lien direct avec le souci des clients pour une relation de confiance durable : produire des biens et services de qualité. Hélas, il s’agit aujourd'hui d’un « mode de gestion » destiné à « augmenter les profits ». Le détournement de la portée « philosophique » des projets de développement de la qualité par les théoriciens de l’industrie les ont incités en réalité à une inflation de règles et d’outils de contrôles.  On trouve ici les  fondements d’une mise sous tension des salariés non plus vers la satisfaction du client mais vers la chasse aux surcoûts. La satisfaction d’un besoin ou d’un désir n’est plus alors  la finalité réelle de l’entreprise mais un possible bénéfice secondaire.

On comprend que l’objectif initial est d’amener les entreprises à tendre vers le zéro défaut. Mais insidieusement, certains se sont mis à croire que le mythe pouvait devenir réalité ! C’est du moins ce qu’ils laissent entendre à leurs partenaires quand ils leurs refusent le droit à l’erreur. C’est le message que les grands donneurs d’ordres se sont plu à faire entendre à leurs différents partenaires en interne d’ailleurs comme en dehors de l’entreprise.

S’étant fixé cet objectif irréaliste, ils ont pris conscience que leurs partenaires, leurs fournisseurs étaient dans l’incapacité d’y parvenir.  Ils ont remis en cause leur confiance relationnelle traditionnelle en les jugeant incapables de trouver des solutions par eux même. Pour pallier à ce climat de méfiance, Ils ont mis en place des outils afin de créer un climat de « confiance artificielle ». En rationalisant toutes les opérations de fabrication chez tous les intermédiaires depuis la matière première brut jusqu’au produit finit, on supprime les aléas et on obtient un produit sans défaut.

Avant de poursuivre ma démonstration, je souhaite m’arrêter un instant sur la problématique du profit dans les entreprises. Pratiquement tous les dirigeants s’accordent aujourd’hui pour affirmer que la finalité de leur entreprise c’est de faire du profit. A la suite de Milton Friedman, économiste et grand théoricien de l’économie libérale, ils s’accordent à penser que c’est difficile voire impossible de concilier responsabilité social et sociétale et performance économique. Les grands élans écologistes que nous vivons actuellement poussent certains à communiquer sur le « développement durable » dans lequel ils tentent d’inscrire leur entreprise mais en réalité, quand on gratte le vernis, on découvre qu’il s’agit généralement d’opérations de communications.

Il me semble personnellement que les maux que subissent les systèmes économiques en ce début de 21ème siècle viennent de la « confusion de finalité ». Faire du profit n’est pas et ne pourra jamais être une finalité. C’est un moyen. Et comme vous pouvez le constater dans le schéma ci-dessous, les moyens sont très bas dans la dynamique de motivation d’un collaborateur voir d’un usager ou utilisateur.



Voici la définition de la finalité dans Encyclopaedia universalis. Accrochez-vous !

« La finalité d'une action en est le « pourquoi », le sens, par opposition à son « comment », aux mécanismes ou fonctionnements qu'elle met en jeu. Le mot « finalité » et l'expression « cause finale » sont démodés ; on les emploie souvent entre guillemets, comme antiscientifiques. »

« La finalité est éprouvée comme une évidence lorsque l'on entreprend de faire quelque chose, d'obtenir un résultat. Cette évidence conduit à interpréter comme « finalisée » l'action observée d'un autre : Que veut-il faire ? Quel est le sens de son acte ? On pense observer de la finalité, non seulement dans l'action d'un homme, mais dans le comportement ou la structure d'un organisme, même supposé inconscient, si l'on y voit une certaine adaptation de moyens à une fin, si ses actes ou ses organes semblent appropriés à sa survie. On en trouve de même dans tout système constitué, vivant ou non, lorsque ses parties paraissent agencées relativement à une fonction de l'ensemble. Un appareil qui résulte de notre « faire » nous savons qu'il est finalisé – par nous. Un équipement industriel sert aux usagers, son fonctionnement a une fin. Par analogie, les systèmes naturels donnent l'impression d'avoir une fonction bénéfique ou maléfique. »

La finalité d’un autocar, c’est de transporter des usagés. Ce n’est pas de rouler économiquement. Tant mieux si les deux sont conciliables. Si l’entreprise de transport met comme finalité l’économie, il faut qu’elle cesse de faire rouler ses autocars ! Nous pouvons comprendre que les messages de maîtrise des coûts répétés à l’envie aux salariés de certaines entreprises finissent par brouiller le sens de leur engagement et la compréhension de l'utilité de leur entreprise.

Dans l’industrie, on observe un phénomène de mode actuellement, c’est le développement  du Lean Manufacturing ou « gestion sans gaspillage ».
Voilà la définition que l’on trouve sur le site «leleanmanufacturing.com »:

« Le Lean Manufacturing est basé sur l’élimination des Gaspillages ou Muda au sein des processus de production.
Les apports du Lean sont une réduction des stocks et des temps de production ainsi qu’une meilleure qualité, moins de dommages et d’obsolescences, et une plus grande flexibilité grâce à une organisation autour des processus.
Les Principes du Lean manufacturing

  • Quantifier la Valeur : La valeur est définie en relation avec le client.
  • Identifier la Chaîne de Valeurs : Mettre en évidence l’énorme quantité de gaspillages.
  • Créer un nouveau Flux : Réduire les Gaspillages et réduire la taille de lots et les encours.
  • Laisser le client tirer le produit à travers la chaîne de valeur : Produire seulement ce que le client a commandé.
  • Rechercher la Perfection : Améliorer continuellement la qualité et éliminer les gaspillages. »
On comprend à la lecture de cette définition que les entreprises qui choisissent la mise en place d’une organisation « lean » risquent fort de focaliser les énergies non pas vers le souci permanent d’œuvrer à la finalité réelle de l’entreprise en tant que productrice d’un bien ou d’un service mais d’élever la dimension économique au rang de finalité. La conséquence de cet état de fait, c’est la perte d’identité de l’entreprise ce qui entraîne la perte de cohérence et une confusion dans la compréhension de son positionnement sur son marché. Le message de préoccupation économique envoyé aux partenaires et clients créé une dynamique de discussion sur les prix et les économies au dépend de l’innovation et bien souvent de la qualité des produits et des services.

Quand les Dirigeants expriment explicitement que la finalité de leur entreprise c’est le profit, ils induisent dans leur écosystème un mode de réflexion, de communication, de pensée, d’idéologie même…reposant sur le tout économique. Les conséquences sont immanquablement une perte du sens de la raison d’existence même de celle-ci, un mal être au travail des collaborateurs qui n’ont plus la compréhension intelligible du sens de leur engagement dans l’entreprise, le désengagement des forces vivent, des revendications salariales fortes (valeur de l’entreprise), des discussions avec les clients et partenaires qui reposent principalement sur les prix, la mise en place de communication artificielle pour donner l’illusion d’une utilité…

L’outil de rationalisation par excellence c’est la norme.

Dans son article « La normalisation de la qualité et l'évolution de la relation de production. In: Revue d'économie industrielle. Vol.75. 1er trimestre 1996. pp. 291-307. » Denis Segrestin écrivait

 « La mise en œuvre du partenariat implique que les opérateurs qui se retournent vers le marché puissent y déceler des «signaux visibles» (confiance institutionnelle NDR) de nature à compenser les asymétries d'information, puis à susciter la confiance, pour parvenir finalement à la constitution de véritables dispositifs de coopération. Encore les « signaux» en question (tels que l'exhibition de labels ou de certificats) ne sont-ils pas suffisants à cet effet : pour traiter au quotidien avec ses sous-traitants devenus partenaires, l'entrepreneur a besoin d'instruments de transaction robustes et économes... Pour nous arrêter sur ces données élémentaires, les normes de type ISO 9000 seraient aujourd'hui l'une des technologies adéquates à la mise en œuvre d'une telle stratégie: elles jouent le rôle de signal sur le marché ; elles prescrivent une méthodologie rigoureuse de gestion de la coordination interfirmes ; elles constituent un outil de coordination standardisé, adéquat au souci des économies de transaction. »

La capacité d’une entreprise fournisseur potentiel à répondre aux exigences des normes ISO 9000 est considérée comme un signal fort de confiance institutionnelle susceptible de favoriser la relation commerciale.
Mais l’auteur poursuit quelques lignes plus loin :

« La lecture la plus accommodante du texte des normes 9001 et 9002 ne manque pas de relever que tous les devoirs y sont imputés au fournisseur -comme si le système avait pour finalité véritable le traitement du contentieux et l'attribution préalable des responsabilités au vendeur »

En d’autres termes, souhaitant parvenir à un niveau de qualité total, l’industriel rompt le lien de confiance traditionnel qu’il entretien avec ses fournisseurs pour le mettre en demeure de lui fournir des produits « zéro défaut ». Pire, il prévoit dès le début de la relation commerciale que le fournisseur sera tenu pour responsable de tous les aléas de fabrication à venir.

Dans les faits en réalité, une telle relation n’est pas tenable dans la durée et la négociation en cas de difficultés l’emporte généralement. Mais dans les faits également, un tel niveau de pression exercé sur un fournisseur le pousse au mensonge par omission. Comment reconnaître ma responsabilité quand les conséquences pour mon entreprise sont… incalculables. Et le mensonge est le poison de la confiance !
Analysons maintenant les arguments mis en avant par les organismes de certification dans leur communication.
Si on se connecte au site internet www.iso.org,( la normalisation des entreprises selon le référentiel iso étant certainement le plus répandu dans le monde), voici ce que l’on peut lire:

« Les Normes internationales garantissent des produits et services sûrs, fiables et de bonne qualité.  Pour les entreprises, elles sont des outils stratégiques permettant d'abaisser les coûts, en augmentant la productivité et en réduisant les déchets et les erreurs… »

Dans cette seule phrase d’introduction à la norme, on note tout le paradoxe et l’illusion de la démarche. L’organisme de certification vous promet l’impossible : la garantie de produits et services sûrs, fiables et de bonne qualité. Puis, vient ensuite le réel bénéfice de la normalisation en lien avec l’approche purement gestionnaire des entreprises : abaisser les coûts, augmenter la productivité et réduire les déchets et les erreurs.

Vouloir réduire les coûts et gagner en productivité sont des objectifs logiques et de saine gestion, mais attention aux « contres coûts » que peuvent entraîner une démarche mal digérée.
La mise en place de normes permettant d’apporter les garanties nécessaires aux consommateurs quant aux possibilités de « jouir » de leur bien de façon satisfaisante est un progrès nécessaire. Mais restons-en là. Quand elles prétendent devenir des outils de performance économiques, elles se détournent de leurs finalités. Il ne s’agit pas en effet de remettre en cause les bienfaits de l’organisation et d’une certaine rationalisation dans les processus industriel, mais il s’agit de quitter le monde de l’illusion pour revenir au réel et accepter une vérité fondamentale : il y a toujours une part d’aléas dans tout process industriel.

La normalisation à outrance a eu et continu à avoir des conséquences dramatiques sur les entreprises Françaises.

En succombant à l’illusion du zéro défaut, les théoriciens de l’industrie ont mis à mal l’esprit d’entreprendre et les capacités créatives des entreprises. Il en découle une approche commerciale catastrophique avec comme seul identité résiduelle et comme seul argument commercial pour nos entreprises : l’argument du prix.